Deux semaines après la victoire de Casablanca Drivers lors de la première finale (lire le compte-rendu), nous voici de retour à l’Alhambra pour connaître le groupe qui les rejoindra en Allemagne pour la grande finale mondiale qui aura lieu du 6 au 9 août prochain lors du Taubertal Festival. Place donc à cette seconde finale française d’Emergenza 2015.

Ce week-end pour départager ceux qui auront été présélectionnés par le public, le jury réunit Martin Jensen (Directeur Général d’Emergenza Scandinavie), le producteur suédois John Strömberg (Spinnup.com, Universal Music Group), le tourneur Anthony Chambon (Alternative Live) et votre serviteur, Matthieu B. Michon, journaliste spécialisé musique.

Le bal commence en douceur avec Electrik Griots, lauréat lors de la finale régionale à Caen qui pratique un reggae d’une grande richesse. Les atmosphères sont cœur de ce projet ambitieux, avec notamment l’utilisation de deux caisses claires aux sonorités complémentaires, un saxophone errant un peu sale, un trombone, des arrangements électroniques qu’on aurait aimés plus présents, et un gros travail sur les (trois) voix. Dommage de ne pas trouver une ‘mise en scène’ qui fasse honneur à cette qualité musicale.

À la tête de The Black Anchors, un chanteur-guitariste en mode rock’n’roll vintage (faut-il déjà voir l’effet du passage remarqué de David Thibault à la dernière édition de The Voice), pour des morceaux pop-rock pas inintéressants. Malgré un bassiste avec une bonne énergie, l’ensemble reste fragile et pas toujours très juste sur les harmonies vocales. Un gros travail en répétition devrait permettre de gagner en précision et ainsi privilégier le fond à la forme…

Malgré l’absence de l’un de ses musiciens, GR Seven, six donc sur scène, réalise une prestation très inégale. Une reprise du « Give Me A Reason To Love You » de Portishead au groove sensuel, en slow tempo. La suite est un mélange des genres (chanson, fanfare, etc.) auquel il faudrait donner une homogénéité, car malgré le plaisir à se produire, on aimerait voir plus d’assurance et d’ambition sur scène, pour quitter une ambiance ‘feu de camp’, pas désagréable, mais très loin d’un groupe près pour affronter une salle.

Le contraste est alors saisissant lorsque les Lillois de Please Smell Us passent à l’action. Un groupe rock qui célèbre, malgré leur « I fuck the USA », une rencontre entre blues rock et un grunge noise très 90’s, notamment au niveau des harmonies vocales. Un guitariste à la belle gueule (mais qui sait aussi se servir de son instrument, puisqu’il remportera le prix du meilleur guitariste), un batteur au rire hystérique et rappeur à ses heures perdues, et un bassiste sûr. L’ensemble est efficace, ne se prend pas vraiment au sérieux, mais malheureusement peut-être pas assez, car au plaisir succède parfois un certain flottement qu’il va falloir rapidement faire disparaître. Gros potentiel néanmoins !

Potentiel également chez Spleen dont la grande force réside chez sa chanteuse-guitariste (1er prix également) qui se donne sans compter. « Take me out » de Franz Ferdinand en apéritif puis des compositions pop/folk qui se tiennent très bien. Un bon son pour la lead guitare, de l’énergie et l’impression, en dépit de son jeune âge (seize ans), d’avoir une vraie artiste sur scène, corps et âme. La difficulté sera donc pour les autres musiciens de faire un gros travail pour ne pas se faire décrocher à un moment ou à un autre, car Louise Botbol est née pour être sur scène !

Une entrée martiale sur une version métallisante de la « Marche de l’Empire » et Blunderbuss de dérouler un néo-métal clairement influencé par Linkin’ Park, notamment au niveau de la voix, même si certaines guitares ne sont pas sans rappeler Korn. Un bassiste qui se promène un peu trop sur scène avec son t-shirt Dewey (« Malcolm »), mais l’ensemble reste (très) efficace. Le groupe gagnerait donc à trouver sa voie dans un genre très marqué par les références de poids. Mais indispensable quand, au premier rang, les filles headbanguent.

Des filles aussi motivées par les garçons de Brödnroll. Pop-rock bien sage qui tombe rapidement dans certains travers de jeunesse comme ce solo bien inutile derrière la tête, des tenues de scène comme on sort de cours, ou ce « Stay Out » qui ressemble un peu trop au « Sunday bloody Sunday » de U2. Un chant rock un peu scandé, un bassiste solide, mais tout cela manque de maturité et lorsqu’une demoiselle s’écrie « A poil, putain ! », on ne peut qu’approuver car on aimerait effectivement une mise à nu, une prise de risque, ce petit grain de folie ou de caractère qui donnerait un peu de sens à l’ensemble.

Sans doute devraient-ils prendre exemple sur Rue de Nancy qui malgré une moyenne d’âge autour de la soixantaine, donne une vraie leçon de scène. Energie, pour un blues-rock en français, un chanteur à la présence scénique certaine, un basiste à la mèche folle, un excellent guitariste lead tout en retenu avec de faux airs de F. Murray Abraham (Salieri dans le « Amadeus » de Milos Forman). Le groupe est capable de jouer sur la corde sensible en évoquant Alzheimer et de faire un hymne ultra fédérateur (à la Téléphone) (« Ça, je ne sais pas »). Bref, de quoi montrer ce que doit être un concert à toutes les jeunes formations qui ont été ce soir à l’économie.

Psychobus est un vrai power trio. Un chanteur-guitariste dont le gros son l’éloigne d’une ressemblance physique avec Dominique A, un bassiste qui fait des chœurs de qualité et un batteur qui sans trop en faire impose des rythmiques impeccables, pour un rock en français qui soigne aussi bien le son (il suffit de regarder l’impressionnant pedalboard du leader) que ses constructions mélodiques avec quelques riffs efficaces. Si eux affirment qu’« On marche à l’envers », ils sont plutôt dans le bon sens, même si aimerait entendre ce vrai tube qui reste en tête.

Esthétiquement, lorsque Bénarès monte sur scène, on sait déjà que l’on a à faire à un groupe. En noir et rouge, trois musiciens entourent une séduisante chanteuse et jouent, ensemble, la carte de la sensualité. Chanson en anglais, balades pop, un peu jazzy avec des accents soul à la Amy Winehouse dans la voix. Il y a une vraie interprétation des morceaux au groove toujours présent. Le charme agît sur l’audience et on découvre une écriture toute en ruptures et en nuances. « Just Go », « I’m a Broken Heart », le répertoire de Bénarès est déjà riche en titres que l’on aura plaisir à retrouver sur d’autres scènes et sur disque.

Faith & Spirit a trouvé la bonne formule. Un rock un peu bluesy avec un jeu en intensité très efficace. Celle-ci demande néanmoins d’être travaillée, car si lorsque l’ensemble du groupe joue de concert, la puissance qui se dégage est très intéressante, elle demande à être impeccablement ordonnée. L’interaction entre le chanteur, un peu fluet pour le moment, et les choristes, doit elle-aussi être approfondie, tout comme le jeu de scène. On en restera, ce soir, sur un work in progress à très gros potentiel.

De l’organisation, il en faudrait également pour Afrokan & Positive I Band. Une douzaine de musiciens sur scène pour un reggae prônant, en français, l’amour de son prochain. Un nombre qui ne pardonne pas la moindre approximation et malheureusement, pas mal de petites choses restent encore à régler, notamment au niveau de la justesse. On aimerait également voir le groupe gagner en épaisseur, pour se faire happer, car le charisme de son chanteur, les dreadlocks aux fesses, ne peut suffire à lui seul à nous emporter.

Changement radical d’atmosphère pour clore ce premier soir avec le métal corsé de Fat Lizard, lauréat de la finale à Ajaccio. Bulldozer massif qui ravage tout sur son passage, le groupe impose sa loi, et la voix d’un chanteur d’une rare puissance, toute en gorge, sans pour autant jamais donner l’impression de forcer. Des riffs lourds qui n’empêchent pas ici une introduction un peu bluesy, là une rythmique qui n’est pas sans rappeler Marylin Manson, on regrette que ces ruptures n’interviennent pas un peu plus, tout comme on aurait envie de voir les possibilités du chanteur à endosser d’autres personnages. Belle prestation néanmoins.
A l’issue de ce premier soir, le public aura retenu par ses votes : Spleen, Rue de Nancy, Bénarès, Faith & Spirit et Afrocan & Positive I Band, qui seront départager par le jury dès le lendemain au Bataclan, lors de la fin de cette finale Emergenza France 2015.
photos Andéol Demeulenaere