Originaire du Sud-Ouest (Agen/Toulouse), Paganella a su prouver depuis une dizaine d'années qu’on savait y faire un rock à la fois solide et sensuel. Le power-trio s’est enfermé avec l’ancien batteur de Noir Désir, Denis Barthe, pour enregistrer un nouvel opus qui poursuit sa route, en parfaite ligne droite, toutes guitares dehors. Efficace et rageur, de quoi nous donner envie d’échanger quelques mots avec eux.
Vous avez sorti votre nouvel album le 8 mars dernier. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?
Sly (guitare) : Bingo est un album de douze titres et demi de pop rock en français dans le texte. Le son de l'album est assez brut (basse-batterie-guitare), nous avons voulu que les arrangements additionnels soient discrets. Bingo est dans la continuité de l'album précédent "J'ai pas vu la nuit passer", avec un rendu plus aéré suite au passage du groupe de quatuor à trio.
Comment s’est passé cet enregistrement avec Denis Barthe ?
Delphine (chant, basse) : La session studio s’est tellement bien passée qu’on a eu peur que ça ne soit pas normal (sourire). Denis s’est vraiment investi à fond dans notre projet, depuis les séances de pré-productions jusqu’au mastering. Il a su instaurer un climat de confiance mutuelle, complètement décontracté (un incroyable débit de blagues à la minute). Il nous a fait sentir depuis le début qu’il aimait notre musique, nos morceaux, et qu’il avait tout compris. Puis il a choisi le bon ingénieur du son, Guillaume Delor-Aprile, avec la bonne sensibilité pour notre projet. L’album a été enregistré, mixé et masterisé en un mois tout rond, je n’arrive toujours pas à comprendre comment on a fait pour rester dans les temps, j’avais tout le temps l’impression qu’on était à la bourre, mais là réside le secret de Denis : il sait où il va. Il y a un cadre de travail serré, mais à l’intérieur, c’est total free style. Moi qui suis un peu psycho-rigide dans la méthode, ça m’a fait un bien fou. Je stressais un peu pour les prises de chant, c’est toujours délicat de rester en forme jusqu’à la fin d’une grosse session d’enregistrement, mais c’était du caviar de chanter dans ce matos de fou et je me suis livrée sans pudeur et sans retenue. Au niveau artistique, ce qui m’a le plus marquée, c’est sa façon de nous diriger dans les intentions de jeu au moment des prises de son : sa signature, c’est la dynamique des morceaux. Jouer toujours plus devant, toujours plus tendus et engagés physiquement. Véritable aventure humaine, très positive. Je l’entends dans le disque.
Noir Désir était pour vous un groupe référence ?
Sly : Bien sûr, Noir Désir fait partie de notre background d'influences pour le son "guitares en avant", la batterie puissante qui trace et les textes de poésie moderne. Mais nous n'avons pas quand même écrit cet album en pensant à eux à chaque coin de mesure !
Il y a une énergie pour ne pas dire une certaine rage dans vos compositions. Qu’est-ce qui provoque chez vous cet énervement ?
Delphine : Je ne sais pas comment vivre sans être révoltée. Nous sommes des cocottes minute, et il faut bien relâcher la pression qui s’accumule tous les jours. C’est soit l’ulcère, soit le rock, non ? La musique est une façon de combattre la peur et l’agression perpétuelle, de rentrer frontalement dans la vie. Comment supporter sans réagir ce que nous subissons tous au quotidien ? Personnellement, j’aime les tempos rapides, j’aime être sportivement engagée dans l’interprétation. Pour être sûre d’être calmée à la fin du concert, ne plus penser à rien. Du coup, en amont, les chansons sont écrites en conséquence.
On retrouve pour autant des moments de sensuelle mélancolie, comme « A l’ombre du frêne »
Sly: C'est la vie ! Le relief des sentiments est une facette de Paganella qui nous est essentielle. Passer de la rage à la douceur est un mécanisme complexe pour certains, chez nous ça se fait naturellement. Il nous fallait exposer cela dans "Bingo", Denis nous y a aidés.
Le choix du français n’est-il pas redevenu un pari dangereux ?
Delphine : Écrire en Français n’est pas un choix mais une évidence. Même si c’est l’anglais que j’ai étudié à la fac, c’est en français que j’aime écrire, que j’aime chanter. Faire du rock avec des guitares électriques en français est sans doute le plus gros challenge du moment, oui, mais notre identité et notre intégrité en dépendent. Sortir un album et se battre pour un projet artistique aujourd’hui, c’est de la pure folie, alors en français ou en italien, on n’est pas à ça près.
Même si vous êtes encore un groupe émergent. Votre expérience de la scène est déjà impressionnante. Vous devez faire des jaloux…
Sly : Faire des jaloux sûrement puisque nous-mêmes sommes de gros jaloux ! En tout cas merci aux artistes de gros labels et à leurs staffs de laisser de la place aux premières parties. Nous retirons positivement deux aspects de ces expériences. D'un côté l'aspect professionnel : la prise de contact et le traitement des conditions, en amont avec l'organisateur puis sur place la collaboration avec ceux qui te reçoivent, les techniciens, l'équipe de la tête d'affiche... La rigueur professionnelle n'empêche pas de travailler avec le sourire voire de se taper de bonnes barres de rire ! Et d'un autre côté, l'aspect artistique : t'es là pour te donner à fond devant des gens venus en nombre... pour pas te voir ! Autrement dit, ce n'est pas le moment de s'excuser. Nous avons la chance de faire un rock très direct, donc notre truc c'est « on fonce dans le tas ! », on attaque avec des morceaux rapides et après on accélère !
Pour vous, la scène, c’est un passage obligé ?
Delphine : J’ai rencontré des artistes qui n’aimaient pas la scène, qui n’y prenaient pas de plaisir. Ça n’est pas notre cas ! Nous sommes mordus ! Nous prenons notre pied en studio, où c’est sans doute notre côté pop qui s’exprime le mieux ; mais au final, tout ce que nous mettons en œuvre pour faire avancer Paganella, c’est pour être sur scène. Professionnellement, c’est vrai qu’un groupe de rock prend toute sa dimension en live. Le son et l’énergie, la relation avec le public te transportent vers une vérité que tu n’atteins que furtivement quand tu lâches prise. Personnellement, quand je suis sur scène, je me sens chez moi et je me sens bien. Quand j’en suis privée pendant trop longtemps, ça n’est pas beau à voir (sourire).
Quel conseil vous donneriez à un groupe qui se lance aujourd'hui dans l’aventure Emergenza ?
Sly : Il faut que la maturité artistique soit en rapport avec les moyens de promo mis en œuvre. Faire un mauvais concert devant du monde parce que ton groupe n'a pas assez répété, à cause du temps passé à flyer, spammer, afficher, faire du réseau social... c'est un des pièges à éviter en priorité.
Un dernier mot ?
Delphine : C’est très dur de rester lucide aujourd’hui quand on avance dans les sphères de la musique. Les professionnels eux-mêmes ne savant pas du tout où ils vont et du coup, les artistes se sentent encore plus déboussolés et leur précarité leur saute à la gueule. Nous avons eu la chance de rencontrer Denis à un moment charnière du développement du projet, il nous a confirmé que nos choix étaient les bons. On s’est dit que si lui nous disait que c’était bien Paganella, il fallait persister dans cette voie. Il faut s’accrocher, garder confiance en soi et rester fidèle à ses convictions artistiques.
Propos recueillis par Matthieu B. Michon
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Paganella "Bingo" (Hors-Normes Prod.) - Sortie le 8 mars 2013