Et voilà, c’est déjà la fin de la saison et donc le temps des finales nationales de l’édition 2014 d’Emergenza. Une année qui aura vu 978 groupes s’affronter le temps des différentes phases de sélections (qualifications, demies et finales régionales), soit 241 concerts aux quatre coins de la France qui ont permis de retenir 56 groupes qui s’affronteront en deux temps au Bataclan. Le premier se déroulait ce week-end devant un public toujours nombreux. Celui sélectionne les meilleurs groupes parisiens, auxquels s’ajoutent les lauréats régionaux. Le jury départage tout ce petit monde et désigne celui qui aura le droit de représenter la France lors de la finale mondiale d’Emergenza qui se déroulera en Allemagne les 8, 9 et 10 août prochain, lors du Taubertal Festival.

De gauche à droite : Matthieu B. Michon, Benjamin Laplace, Mitch Giovannetti et Sylvain Berger
Pour cette première finale, le jury était composé de Benjamin Laplace (Unité Recherche et Développement des programmes de France Télévisions), Mitch Giovannetti (guitariste de Superbus), Sylvain Berger (rédacteur en chef de Musicradar) et votre serviteur, Matthieu B. Michon (journaliste musique), qui à l’issu de chaque passage fait un point avec les musiciens afin de mettre en relief les qualités et les défauts de la prestation. Ce billet n’étant qu’un avis parmi les autres, il n’en garde pas moins cette volonté de faire progresser chaque formation de la manière la plus constructive possible… mais sans complaisance !

Toujours difficile d’entamer les hostilités, c’est pourtant le rôle que va pleinement assumer Smala 974, un quintet originaire de Saint-Maur-des-Fossés. Emmené par une chanteuse aux accents soul, le groupe s’aventure sur un registre rock grand public qui fait la part belle aux guitares, notamment à sa guitare lead. Les enchaînements se font bien, le groupe partage sa bonne humeur et maîtrise ses parties instrumentales. Malheureusement cette masse sonore manque cruellement de nuances et d’espaces pour mettre notamment en relief cette voix, très à son aise sur cette reprise d’Ami Winehouse. Le groupe doit donc encore travailler la scène pour obtenir une meilleure cohésion de groupe, un confort qui lui permettra plus de lien avec le public.

On gagne en puissance avec le registre hard rock d’Aeternam qui a le mérite de faire, comme l’exige le genre, des compositions à tiroirs… Malheureusement, le groupe met la barre très haut sans avoir encore pour le moment la technicité pour réaliser le grand saut sans encombre. La basse est solide mais la batterie encore fluctuante et lorsqu’elle s’engage seule dans un intermède, l’accident n’est pas loin, et le concert a du mal à repartir, d’autant quand le chanteur-guitariste s’empêtre en prenant à la main un micro qui ferait mieux de rester sur pied. C’est dommage car les morceaux laissent entrevoir de bonnes idées et quelques subtilités mais ont pour le moment de la peine à émerger. Si le dernier morceau convainc un peu plus le jury, les sévriens vont devoir se pencher sérieusement sur les répétitions et l’écriture.

Rock toujours, mais dans une veine plus pop, avec Distant Trip qui sait sans nul doute écrire des chansons efficaces. Presque guillerets, avec leurs chemises blanches et leurs cravates rayées, on sent chez eux un réel désir d’en découdre. Si la justesse n’est pas toujours au rendez-vous, le chanteur Martin Balavoine fait preuve d’une légère arrogance un peu teigneuse qu’il va falloir exploiter. Ces meudonnais sont en tout cas sur les bons rails.

La route du rock se poursuit avec The Strangers qui entame les hostilités avec « une reprise dynamique du groupe australien Jet. Une playlist entre compositions et des reprises que le quintet ne semble pas vraiment assumer, les avortant souvent à mi-chemin, comme autant d’interludes. Le groupe reconnaîtra d’ailleurs avoir mis ces titres faute d’avoir suffisamment de chansons perso. Et « We will rock you » d’apparaître alors comme une faute de goût, l’énergie du début se perdant au fil des titres. C’est dommage car si techniquement The Strangers se tient bien, l’affirmation d’un caractère propre ne se fait sentir encore que trop rarement, notamment lorsque le guitariste, assez charismatique, se met à rapper. C’est donc par l’affirmation de cette identité que passe le salut.

Un problème qui semble à mille lieues des préoccupations de Boxes. En effet, affichant une moyenne d’âges de 14 ans, le groupe parisien montre la plus grande assurance de ce début de soirée. Un premier titre rock qui se termine intelligemment par le « We Are The Champions » de Queen et le décor est planté : ils ont déjà tout écouté, bien digéré et ils le recrachent avec une spontanéité déconcertante. Une deuxième chanson, bon hymne pop malgré son solo guitare… un pêché de jeunesse (des envies de Muse ?) qu’il faut utiliser par touches subtiles si l’on veut pas plomber un morceau. Ici une ballade, là un bout rappé, un featuring vocal qui complète parfaitement le lead et un clavier hyper dynamique sur scène. Pas grand chose à dire de plus, si ce n’est qu’il faudra suivre ce combo dont la devise doit être : « l’efficacité, un point c’est tout ! ».

Pas évident de passer après. Et techniquement En attendant Aurore est au niveau, quadra oblige. Pour autant en terme d’originalité, on attend que quelque chose se passe. En effet, le groupe passe d’un style à l’autre avec une réelle maîtrise, du rock un peu stoner à une ambiance plus groovy ou un petit côté Tryö et un coup de flûte traversière. Ça joue bien, mention spéciale au percussionniste, un peu de tout avec le plaisir d’animer la soirée par la musique et par la danse. Mais on regrettera l’absence d’une direction artistique, l’affirmation d’une identité. Et Aurore de se faire vraiment désirer.

La foule s’agite pour The Shuttles qui pratique un rock en anglais, carré et puissant. Des morceaux bien écrits, un chant qui grogne, ça ne fait pas dans la délicatesse et c’est tant mieux. Dans son look et dans ses attitudes le chanteur fait penser au personnage un peu branleur de Bobby dans le Twin Peaks de David Lynch. Celui-ci enlève rapidement son tshirt suscitant l’émoi chez les demoiselles. Attention néanmoins à ne pas trop s’aimer… C’est efficace, un peu punk dans l’esprit, même si on aimerait parfois un peu plus de radicalité, comme sur la fin du dernier morceau. Un peu plus de nuances permettraient aussi de jouer plus sur ces montées en intensité. L’essentiel est malgré tout là, une hargne qu’il faut laisser s’exprimer et un hymne coup de poing avec ses glissandos de piano : « Rob the Bank » !

Longue intro pour Relative Mind qui semble aussi avoir amené son public. Plus pop, avec une vraie une harmonisation au niveau des voix. Le jury évoquera des influences belges (Girls in Hawaii, Ghinzu), mais ça lorgne quand même beaucoup de l’autre côté de la Manche, une reprise de Coldplay étant là pour nous le confirmer. Quelques imperfections dans la mise en place sur scène, une lead guitare qui peut avoir tendance à manger le chant, mais l’ensemble se tient plutôt bien, des morceaux en mid-tempo qui se durcissent sur la longueur, finissant sous les hourras et les confettis.

Ligne plus dure pour Revo, avec un rock US que nous qualifierons de ‘couillu’. Originaire de Chartres, le groupe peut se vanter d’avoir une très bonne section rythmique qui donne un cadre solide à l’ensemble. A l’aise sur scène, les musiciens maîtrisent vraiment leur set. Malheureusement les morceaux sont assez linéaires et il faudra vraiment se pencher sur l’écriture, afin de trouver des éléments qui enrichiront le tout, créer des évolutions, faire des chansons. Benjamin Laplace d’ailleurs de s’exclamer : « Soyez plus aventureux ! ». Les sons de la guitare sont aussi à travailler, par pitié, virez-moi ce flanger !

Un rock plus groovy avec Week End Stop qui propose des morceaux plutôt bien écrits même s’il manque encore un vrai tube. Un chanteur au timbre grave, à la Morrissey ou Murray Lightburn (The Dears, qui avec le temps saura s’affirmer en véritable frontman. Un très bon arpège sinueux sur la seconde chanson, une belle énergie sur « I was Born to be » mais tout ça manque encore de maturité et la présence sur scène reste à travailler, il faut en prendre possession ! D’ailleurs un conseil plus global à l’ensemble des groupes qui se produisent : arrêtez de vous balader au hasard sur scène. Ne risquez pas le choc avec l’un des vôtres (ce fut ici le cas…), tenez votre place, le public est devant et c’est pour lui que vous jouez !

Rock toujours pour Heart to Take. Plus costauds mais aussi un peu plus aguerris sur scène que leurs prédécesseurs, les parisiens ont la bonne idée d’avoir là-encore ce petit côté groove qui vous entraîne un public sur la piste de danse. Il est d’ailleurs venu en masse pour les supporter avec des tubes phosphorescents, rouges. Ça joue bien, une ballade en milieu de set avec un solo qui rend la salle folle et un dernier titre comme un hymne fédérateur : la foule est conquise ! De notre côté, on attend cette chanson qui nous fera vraiment chavirer. Mais pas de panique, vous n’en êtes vraiment pas loin !

Une scène vide nimbée d’une lumière jaune, une introduction et un gros son d’emplir la salle. Tension avant l’explosion et le flow assassin d’Al Pa & Projekt T. Rap métal dans une ligne plutôt néo (Limp Bizkit mutant au contact de Slipknot), nous sommes vraiment ici à la croisée des genres, parfaite fusion musicale et le tout en français, ce qui suffisamment rare ce soir pour être souligné. Musiciens masqués, ça envoie et enchaîne déchaîne les titres : « Déchiré », « Dawa », comme autant de prétextes au pogo, au slam et au jump. Une « Rock’n’roll A (ttitude) » à faire se retourner Johnny dans la tombe (hein ?). Pour l’instant ça déborde encore de partout, mais avec un peu de travail, ça pourrait devenir tout bonnement monstrueux !

Tout de rouge et noir vêtu, Forget The Past fait son apparition dans un tour de magie et un concept autour du temps. A nouveau c’est une rencontre des genres, d’un côté un rock avec un guitariste col de chemise relevé qui lorgne vers le heavy, de l’autre deux chanteurs qui sont plus dans un registre variété (Mitch Giovannetti et Sylvain Berger évoqueront d’ailleurs un côté Fredericks/Goldman/Jones). Malheureusement, si le groupe à l’air très content d’être sur scène, se gratifiant régulièrement de gestes amicaux, tout cela se fait dans un certain désordre. Un peu comme si Forget The Past, submergé par l’émotion d’être au Bataclan, lâchait prise au moment où plus que jamais il faut être dedans. Les voix ont parfois des problèmes de justesse en terme d’harmonies, un point qui ne pardonne pas à ce niveau de la compétition. Le jury est extrêmement bienveillant, mais le groupe à encore de gros progrès à faire pour être plus en place. On se reconcentre et on y va !

Cette soirée se conclue par le rock plutôt groovy (oui, c’est un terme que j’aurais pas mal utilisé aujourd'hui) de 27 Rooftops. Si le groupe peine un peu à rentrer dans le bain, il est clairement techniquement au point. Une section rythmique solide et deux guitaristes qui mériteraient de travailler dans une plus grande complémentarité, et en cherchant un son plus marqué. Sur scène, ils ont beaux être six, ils ne l’occupent pas vraiment, chacun est un peu isolé, cherchant l’autre, et la chanteuse de ne pas encore assumer pleinement son rôle de leader. En effet, cette jolie blonde dont le timbre a une réelle identité, d’abord un peu effacée, se révèle au fil des titres, devenant vraiment convaincante sur le dernier morceau. C’est dommage car le live, et surtout dans ce genre d’exercice demande à ce que la voix soit déjà chaude. Il faut donc travailler davantage mais il y a un vrai potentiel.
À l’issu de cette soirée marathon le public aura retenu sept groupes que le jury départagera dès le lendemain : Distant Trip, Boxes, The Shuttles, Heart to Take, Al Pa & Projekt T, Forget The Past, 27 Rooftops. Alors la suite ? C’est par ici !
Matthieu B. Michon